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1 mars 2011 2 01 /03 /mars /2011 18:58
Lettre d'un militant socialiste à un élu socialiste
Un SDF (photo d'illustration)

Un SDF (photo d'illustration) | MAXPPP

Ces lignes sont nées d'une réaction au texte de Créon que l'on peut lire ici. J'ignorais que la taille des commentaires sur Le Post était limitée. Et comme je ne souhaitais guère raccourcir le mien pour entrer dans le cadre imparti, j'ai préféré au contraire m'étendre autant que je le souhaitais.

Cher camarade,

Ton texte me laisse perplexe. Je te l'écris amicalement et il ne faut pas y lire la volonté d'en découdre avec toi. Je souhaite seulement une discussion entre militants qui ne parlent pas de la même position, toi élu et moi simple citoyen chômeur au long cours sans espoir de retrouver un emploi en raison de mon âge.
Je ne vais pas faire pleurer Margot : mon épouse a un salaire correct et un emploi garanti qui nous permet de vivre dans la sérénité. Quand tu ne saisis que des bribes de conversation, j'entends et ré-entends de longues argumentations. Cela m'est facile : je fréquente de façon assidue la simple gêne comme la pire misère dans mes activités bénévoles.
La géographie de mon monde : depuis épicerie sociale, restaurant social, Secours Populaire et catholique, Croix-Rouge, Resto du cœur, jusqu'au vide-grenier dominical et à la vente de vêtements au poids à l'APF. La sociologie de mon monde : SDF et punks à chiens, vieux qui mangent dans les poubelles, récupérateurs organisés qui vendent au vide-grenier du dimanche la récolte de la semaine pour arrondir le petit salaire ou la maigre allocation, démolisseurs qui volent nuitamment les métaux dans les immeubles délaissés jusqu'aux salariés modestes qui peinent à joindre les deux bouts, aux solitaires encore aidés par leurs parents et aux syndicalistes qui essaient encore d'y croire et de se battre.

Tu constates le pessimisme ambiant. Tu constates la rancœur et la frustration ambiantes. Tu constates l'existence de boucs-émissaires qui ne sont pour rien dans le marasme ambiant. Tu constates que les cantonales n'intéressent guère. Tu constates que la teneur des discours de Marine Le Pen est dans la tête de bien des gens. Tu constates que notre Parti Socialiste ne suscite pas le moindre espoir. Bon. Ça ressemble un peu à l'invention de l'eau chaude et tu voudras bien me pardonner de te l'écrire aussi directement. Car voilà autant de constats bien aisés à faire quand on n'est pas dans les deux ou trois premiers déciles de l'INSEE classant les Français par leur revenu.

Mais venons-en au vif du sujet. Tous ces constats devraient interroger vigoureusement notre parti. Tout comme les trois raclées présidentielles que nous avons prises, dont une cinglante fessée cul nu en 2002, auraient du interroger notre parti. Et que voit-on venir ma sœur Anne ?
Ou bien rien. C'est à dire de picrocholines guéguerres de chefs de gare sur la façon de siffler.
Ou bien de très nombreuses excellentes raisons de prendre une nouvelle bonne raclée. Je ne citerai que ce calamiteux alignement du PS sur la loi Fillon portant à 41,5 années la durée de cotisation pour pouvoir prétendre à une retraite à taux plein. Des millions de personnes ont défilé, fait grève, manifesté, bloqué, etc. Et le PS propose à peu près la même chose que Sarkozy en changeant juste le baratin accompagnateur. Enfin même pas toujours. J'ai vu DSK répéter l'argument"puisqu'on vit plus vieux..." Tu imagines l'enthousiasme délirant de l'ouvrier du bâtiment ou de la femme de ménage, déjà bien abîmés à cinquante ans, qui écoutent un oligarque pansu pas fatigué par le travail tenir de tels propos ?

Moi, membre du PS, n'ai même pas envie de voter pour l'un ou l'autre des candidats à la candidatureSi même un militant socialiste n'a pas envie de départager X et Y, peux-tu entrevoir à quel point l'électeur lambda se désintéresse de la vie politique ? Aucun de nos candidats potentiels n'apporte l'espoir aux déshérités, aux laissés pour compte, aux salariés de plus en plus fragilisés, aux pas trop affectés mais inquiets pour leurs enfants. Aucun de nos candidats potentiels ne dit qu'il veut en finir avec l'argent idole de notre époque, aucun ne s'affirme vigoureusement anticapitaliste, aucun ne propose ne serait-ce que quelques bricoles susceptibles de changer un peu la vie des humbles. Et bien sur aucun ne propose simplement de "changer la vie" comme nous le disions jusqu'en mai 1981. Avec une poignée de camarades Gérard Filoche s'escrime à demander au PS la mise en avant quelques points basiques comme la hausse du Smic à 1600 euros mensuels, le maintien des 35 heures ou le retour à la retraite à 60 ans. Des bricoles qui ne font pas rêver, c'est sûr, parce que manquant d'ambition. Eh bien, même cela est encore trop demander au sein du PS.

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"Nous devons faire preuve de réalisme." Ou bien "C'est pas possible." C'est ce que je dois entendre chaque fois que je râle devant la médiocrité insipide de nos propositions comme chaque fois que j'avance la moindre idée.

Alors il faut dire le crève-cœur de voir que c'est Villepin — bolchevik UHT, ultra-hyper-total gauchiste pas du tout crédible, bien connu pour ses outrances et ses excès, son populisme et sa démagogie, son absence de sens des réalités — qui propose tout bonnement un revenu universel minimal de 850 euros mensuel. C'est à dire un doublement du RSA individuel. Pas le Pérou pour la mère seule qui rame entre les gosses, le boulot précaire à temps partiel, la Croix Rouge et le Secours Populaire, mais tout de même une amélioration. Un espoir modeste...
Il y a une peur ambiante. Tu as raison. Mais le PS ne répond à aucune inquiétude de nos concitoyens. Logement, revenu, santé, retraite, emploi, précarité, désastre écologique, le PS ne propose même plus le moindre sparadrap et il faut un Villepin pour proposer ce parachute social !
La situation sociale n'est pas le fruit d'un caprice de dame nature contre lequel on ne pourrait rien. Il faut nommer les responsables, promettre de châtier les coupables avec sévérité, démonter les mécanismes qui appauvrissent les pauvres et enrichissent les riches. Rétablir la progressivité de l'impôt et taxer lourdement les hyper-riches. Citer les noms des Dracula qui vampirisent nos vies. Le silence du PS est assourdissant : jamais on entend les noms des ennemis des classes laborieuses. Bernard Arnaud, Vincent Bolloré, Gérard Mulliez, Michel-Édouard Leclerc, le grand capital de la Bourse, la finance banquière aux traders fous et le CAC 40.

Le peuple voit bien qu'on lui fait la guerre. Mais comme le PS ou les syndicats ouvriers ne lui disent pas qu'il s'agit d'une guerre de classe menée par les princes d'un capitalisme décomplexé, le peuple s'invente des ennemis qui sont nos voisins pas comme nous : les jeunes si on est vieux, les vieux si on est jeune, les hommes si on est femme, les femmes si on est homme, et puis aussi les noirs, juifs, musulmans, immigrés ou descendants d'immigrés, homos, étrangers et que sais-je encore puisque chacun est l'ennemi de tous et puisque Marine Le Pen, elle, nomme des ennemis parmi nous...
Tout cela parce que le PS ne veut pas dire que nous avons des ennemis, ne veut pas les nommer, ne veut pas les combattre.

Peux-tu comprendre la détresse des gueux que le PS refuse avec obstination de défendre ? 

Peux-tu comprendre l'inquiétude de ceux qui voient le monde s'effondrer autour de leurs enfants ? Peux-tu comprendre le désarroi des militants socialistes ? Peux-tu comprendre le départ du PS de mon camarade B. — un vieil homme qui a côtoyé Pierre Mauroy durant des décennies c'est te dire si c'est un gauchiste ! — écœuré devant les renoncements à répétition de notre parti ?null

Pourquoi ont-ils tué Jaurès ? 

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